Sa jeunesse.
Albert Désiré VAGUET naît à Elbeuf sur Seine le 15 juin 1865 dans le quartier pauvre du Puchot (aujourd'hui détruit).
Très jeune, il chante dans des concerts de la commune (à l'église et à la fanfare municipale). Il a dix ans lorsque sa mère décède et pour aider son père à nourir ses frères et soeurs il travaille comme manoeuvre sur les quais de la Seine.
Conscient de ce don à chanter et sur les conseils d'un homme politique, son père quitte Elbeuf pour Paris avec son fils. Le petit Albert est analphabète mais il est tout de même reçu au Conservatoire de Paris.
Le service militaire interrompt brièvement ses études de chant et il se retrouve au Havre, à l'Exposition maritime de 1887. La belle aubaine, son régiment fait la musique au Kiosque de l'Hotel de Ville : le jeune ténor y chante en public pour la première fois ! Il fait un triomphe dans David chantant devant Saül et L'auberge des cent écus de Goublier. Il se produit également au Casino Marie-Christine dans le rôle de Faust. Il inaugure le canal de Tancarville et y rencontre à nouveau son "protecteur" politique. Celui-ci s'arrange pour abréger le service militaire d'Albert et enfin le jeune ténor reprend sa place dans les cours de chant du Conservatoire. Entre temps, il a appris à écrire et à lire à la Garnison.
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Du Café-Concert à l'Opéra.
Cependant il est difficile pour le jeune Albert de subvenir à ses besoins. Il trouve alors de petits engagements dans des beuglants et Caf'Conc'.
C'est ainsi qu'entre ses cours au Conservatoire, il débute à l'Horloge et à l'Eldorado avec un jeune chanteur en mal de devenir : Charlus (d'ailleurs notons au passage que ce dernier évoque le ténor dans son livre de souvenirs datant de 1950). Vaguet est déjà un chanteur à romances, il interprète Aimons-nous bien Ninon !
Au Conservatoire de Paris, il aura comme professeurs, Barbot, Ponchard et Obin. A la suite de plusieurs concours il obtiendra difficilement ses prix. En 1889, au premier concours où il s'était présenté, non content de ce que lui avait décerné le jury, il avait claqué la porte du conservatoire. Le jury était resté sans voix ! Il faut dire que la critique est guère tendre avec lui, on lui repproche de "mal se tenir". Il ne faut pas oublier de quel milieu vient le jeune Albert.
Le 21 juillet 1890, jour des concours se trouve dans la salle M. Lapissida, bras droit du directeur de l'Opéra de Paris (Pedro Gailhard). A l'écoute de l'air des Abencerages détaillé avec brio et délicatesse par le jeune élève, Lapissida est ravis et conquis. Voici une belle recrue ! Les deux hommes croient en l'avenir du ténor. Albert Vaguet est engagé à l'Opéra comme premier ténor, il débutera dans Faust le 29 octobre 1890 (rôle qu'il assurera près de trois cent fois !).
Par son style vocal unique et son jeu de scène qui finira par s'affirmer, notre jeune ténor va conquérir les habitués de l'Opéra Garnier.
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Note : pourquoi Vaguet séduisit l'Opéra ? Simplement parce que jusqu'ici la plupart des ténors chantaient tous les rôles en "forté". Vaguet chantera Faust (entre autre) en voix mixte se qui bouleversera fondamentalement les principes de l'interprètation lyrique sur la scène française (depuis Duprez), ouvrant la porte à d'autres chanteurs alors jusqu'ici en position secondaire. L'on verra disparaître peu à peu les chanteurs tels que Affre et Escalaïs, et apparaître la génération des Alvarez et Clément etc. Le fait s'inversera à nouveau dans les années 20 avec l'apparition de Campagnola, Vezzani etc.
12 ans à l'Opéra Garnier.
Il restera à Garnier pendant 12 ans y assurant de grandes créations :
Albert Vaguet assure également le répertoire traditionnel : Rigoletto (Duc de Mantoue), Robert le Diable (Raimbaut), Salammbô (Shahabarim), La Favorite (Fernand), Guillaume Tell (un pêcheur), Thaïs (Nicias), Tannhaüser (Walter), Hamlet (Laërte), Lohengrin (Lohengrin), Don Juan (Ottavio), Patrie (La trémoille), Joseph (Joseph).
Il jouera avec les plus grands interprètes du monde : Mesdames Melba, Delna, Ackté, Grandjean, Caron, Bosman, Sybil Sanderson, Messieurs Delmas, Plançon, Melchissédec, Noté, Chambon, Tamagno, Renaud, Fournets, Escalaïs, Lassalle et Saléza qui deviendra un ami intime.
Vaguet devient un élément incontournable de l'Opéra Garnier, un chanteur devrait-on dire même, majeur par ses créations et ses reprises. 1901 est une année clef pour le ténor. Les journalistes de l'époque écrivent qu'ils n'ont jamais vu un Faust et un Joseph aussi remarquables avant Vaguet.
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Mariés à la scène comme à la ville.
En 1894, Vaguet épousera une camarade de l'Opéra qui lui donnera deux filles : Albertine Marie Chrétien de son nom de jeune fille.
Le parcours de cette chanteuse est impressionnant. Elle est née à Paris le 8 mars 1872. Elle obtient un premier prix de piano à 14 ans, puis s'oriente vers le chant, grâce à Chabrier. Elle aura comme professeurs de chant Melchissédec et Raoult-Delapre. Elle devient rapidement Alba Chrétien, chanteuse à la voix de falcon, qui sera réputée sur les scènes Bruxelles, Aix-les-Bains, Lyon et Pau.
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La Fin d'une époque.
Vaguet jouera pour la dernière fois à l'Opéra dans Lohengrin le 2 février 1903. La raison pour laquelle Vaguet se retire de l'Opéra est de nos jours encore difficile à déterminer.
Deux raisons sont possibles à cela : on raconte qu'il aurait "craqué" le contre-ut dans Faust et que vexé il aurait claqué la porte pour ne plus y revenir. Il est certain que Albert Vaguet a alterné trop de rôles qui n'étaient pas dans son registre de voix. Il ne faut oublier qu'il n'est qu'un ténor "léger". La seconde hypothèse est qu'il s'était fâché (une fois de plus) avec Gailhard. On peut d'ailleurs évoquer le fait qu'un jour de colère Vaguet avait enfoncé le chapeau haut-de-forme sur la tête du directeur ! Il est certain que la jalousie permanente qui rêgne entre les chanteurs et les exigences de Gailhard feront qu'il n'était plus possible d'accepter l'inacceptable ! Alors Vaguet a claqué la porte comme il a l'habitude de faire quand ça ne lui plait pas et il est parti !
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L'Espéranza, l'espérance d'une vie meilleure.
Alba restera jusqu'en septembre 1904 à l'Opéra. Dès 1906, le couple quitte Paris. Leur ami, le ténor Albert Saléza (1867-1916 - créateur de la Bohème, Otello, Salammbô) ayant invité plusieurs fois les Vaguet à Bruges dans le Béarn (son pays natal), les décident à se retirer loin de la Capitale.
Ils acquièrent une superbe villa à Nay près de Pau. La maison est loin du centre ville et elle est entourée de champs. Ils n'ont pour seuls voisins que la ferme Elias, qui donnera son nom au chemin. Il est difficile de se faire à cette nouvelle vie pour les 2 filles et pour Alba dont la carrière n'était pas finie.
Malgré l'éloignement, Vaguet va continuer d'enregistrer des disques (près de 300 enregistrements entre 1900 et 1918) pour la firme Pathé-Frères. Un contrat les liants depuis 1900.
Alba donnera quelques représentations au Palais d'Hiver de Pau et se consacrera à l'enseignement du chant et du piano. Le couple retrouvant peu à peu un équilibre, goute enfin les plaisirs de la vie de famille et le calme de la campagne.
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Souvenirs des Habitants de Nay.
A Nay, quelques habitants presque centenaire, se souviennent encore des Artistes de l'Opéra : "Albert chantait à l'église de la ville "Le ciel a visité la terre". On voyait le ténor dans sa calèche avec son chapeau blanc, c'était "un mossieur".
D'autres se souviennent encore qu'à la signature de l'armistice de la Grande Guerre, la population s'était réunie sur la place, et Vaguet s'était emparé du drapeau et chanta la Marseillaise. "C'était terrible" se souvient une vieille dame, "il chantait si fort qu'on aurait dit que les murs de la ville tremblaient. Nous étions si heureux de cette libération".
"Il arrivait que le ténor organise un concert dans son kiosque et nous partions tous au chemin Elias pour l'écouter chanter".
Aujourd'hui on ne peut que constater le manque d'entretien de la part de la municipalité de la ville de Nay, qui me semble-t'il pourrait faire encore quelque chose pour le kiosque qui est totalement à l'abandon avant que celui-ci ne s'écroule.
Derniers enregistrements.
En 1928, Albert reçoit la visite de Emile Pathé qui possède une résidence secondaire à Pau. Les deux hommes se connaissent bien. D'un commun accord, il est décidé que Vaguet viendra enregistrer 4 faces de disques pour le nouveau catalogue des disques Pathé.
Depuis 1927, les disques sont à aiguilles et sont enregistrés électriquement ! L'époque a bien changé, du temps des débuts de Vaguet, on enregistrait "à la pièce" des cylindres, en chantant en live devant le pavillon.
C'est ainsi qu'à 63 ans, en mai 1928, dans les studios Pathé de Chatou, Albert Vaguet grava ses 4 derniers enregistrements : La Vierge à la Crèche, Trianon, L'adieu à Ninon, Quand l'oiseau chante (que vous pouvez entendre en cliquant sur le lien ci-dessous).
Malgré les années, la voix est restée belle et douce, elle module à loisir dans la demi-teinte, peut-être est-ce même ses meilleurs enregistrements ?....
Vous en souvenez-vous Marquise ?...
Quelques mauvais investissements et les premiers grondements de la deuxième guerre mondiale font déménager les Vaguet pour un petit appartement à Pau.
Devenu dépressif, Albert décèdera le 22 février 1943. Alba lui survivra 20 ans, jusqu'au 28 février 1963. Elle vivra une paisible retraite entourée de ses enfants et arrières petits-enfants.
Samuel MARC.
Texte protégé à la SGDL.
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Je remercie très chaleureusement la famille des chanteurs et les habitants de Nay, et l'actuel propriétaire de l'Espéranza pour m'avoir ouvert leurs portes.
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Depuis dix ans, je souhaite publier un livre sur ces deux interprètes que j'affectionne particulièrement. Je serais intérressé par tous documents, témoignages etc les concernants. Peut-être pouvez-vous m'aider ? Merci de me faire vos propositions à l'adresse du site.
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Ecoutez d'autres titres enregistrés par le ténor VAGUET :
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