A Laurent W.,
Je le sais les amoureux de Dranem sont nombreux et ces quelques disques sortis de ma collection vont faire des heureux !
Dranem est un cas à part dans les comiques. Il fut l'un des plus grands chanteurs du Caf' Conc' en 1900 avec Fragson, Mayol ou encore Polin.
Il n'est pas question ici d'écrire sa biographie mais simplement de lui rendre hommage en lui consacrant une page complète sur notre site.
Notre ami et collectionneur, Gilbert Humbert avait préfacé son livre discographique comme cela :
"Pourquoi sommes-nous quelques-uns à "aimer" Dranem ?
Ce n'est que l'accumulation des grossièretés suggérées par les textes qui nous séduit. C'est plutôt le jeu : jeu de mots, dérives du sens : on est convié, mêlé, participant à ce jeu : on plante avec Dranem des culs-de-bouteille sur un terrain qui mesure à la fois quelques mètres de long, de large, et - pourquoi pas - de haut ("Vive la campagne") ; on découvre qu'avec deux sous d'pom' de terre frites, on a brisé un violon ("Le rondeau littéraire") ; on attrape un panaris, en cage voilà qu'il chante ! ("Mon jour de veine") ; on se retrouve comme "le petit jeune homme", gentiment idiot, "avec son pot d'géraniot".
On est entré dans un monde imaginaire, illogique, faussement niais, souvent fraternel."
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Charles Armand Ménard dit Dranem est né le 23 mai 1869 dans le 10ème arrondissement de Paris.
"Wikipédia" résume à tort (mais ce n'est pas le seul) que son "répertoire de chansons" était "à l'humour incongru, et souvent scabreux".
Il est au contraire comme l'a dit plus haut Gilbert Humbert plein de "jeu de mots". Il est emprunt régulièrement de comique plein de finesse, dont il faut parfois réécouter plusieurs fois la face du disque pour en comprendre toute la subtilité du jeu et du comique (= La romance subjonctive). Parfois, il est vrai au contraire qu'il y va fort avec, citons comme exemple "Pétronille tu sens la menthe", ou bien "Le trou de mon quai" (vous avez sans doute compris ce qu'il ne faut pas dire ...).
On résume souvent le comique de Dranem à "grotesque" à cause (ou grâce) à son célèbre "Ah ! les p'tits pois" (que je n'ai pas voulu faire figurer ici préférant laisser la place à d'autres chansons moins connues).
Fils d'un artisan-joaillier, il travaille d'abord avec son père comme bijoutier. Attiré par le café-concert, il quitte le foyer familliale et se lance vers 1890 dans des spectacles de quartier.
D'après la catalogue Pathé de 1933, on y apprend que sa grand-mère avait été l'auteur de la chanson "N'effeuillez pas la marguerite". Donc finalement le fait que Dranem soit attiré par la scène n'est peut-être pas tout à fait le fruit du hasard.
Après son service militaire, il devient commis chez un marchand de bretelles, puis vendeur d'instruments orthopédiques (cela fait penser à son monologue "Les trucs de Boitaclou"). Il se trouve un nom de scène en inversant simplement les lettres de son nom Ménard devient Dranem.
Henri Moreau, un auteur dramatique client du kiosque à journaux que tient la mère Ménard, le recommande au directeur de la Gaîté Montparnasse. L'audition sera un échec. De Café-Concert en Café-Concert il se voit refusé les engagements.
C'est à l'Electric-Concert du Champ de Mars qu'il est engagé comme comique troupier (1894).
D'après Mayol (livre de ses souvenirs), c'est en 1896, que le personnage de Dranem naît : ce soir-là il se présente sur scène avec une petite veste étriquée, un pantalon trop large et trop court, chaussé d'énormes godasses sans lacets et un petit chapeau bizarre. C'est le triomphe. Il restera plus de vingt ans à l'Eldorado.
Artiste complet et exigent avec lui-même, il est capable d'aborder, le cinéma, l'opérette et même le théâtre où il excelle (sous la direction de M. Antoine) dans le Médecin malgré lui de Molière (Odéon, 1910). Notons qu'il enregistre d'ailleurs un disque pour Columbia où il fait la première page du supplément.
Homme simple et généreux, il fonde la maison de Retraite à Ris-Orangis (1911) et chante pour les blessés de la Grande Guerre.
Conscient que son comique va finir par ne plus faire rire et le rendre ridicule, il fera ses adieux à l'Eldorado le 23 octobre 1919. Ce qui ne l'empêche pas de continuer les enregistrements de chansonnettes comiques !
Il se tourne vers l'écriture de romans et de pièces, puis passe à la radio, joue au cinéma et créa de nombreuses opérettes (Là-haut, En chemyse, La dame en décolleté, Troublez-moi, PLM, Trois jeunes filles nues, Bégonia, Deux sous de fleurs, Tonton etc).
Malade depuis 1933, il meurt prématurément le 13 octobre 1935, à l'âge de 66 ans. Il est enterré au parc de Ris-Orangis. Son épouse, Suzette O'Nil (parfois orthographié O'Neil) repose également à ses côtés.
Fort heureusement pour nous, Dranem a toujours été un fervent "prêteur de voix" pour le phonographe. Il enregistra une quantité phénoménales de cylindres et de disques pour les petites et grandes marques. Dans la discographie établie en 1994 par G. Humbert (encore disponible dans nos éditions), on peut lire qu'il enregistra pour Dutreih, APGA (il avait été l'un des fondateurs de la marque en 1906), Pathé, Edison, Eden, Homophone, Supradisque, Zonophone, Gramophone, Odéon, Phrynis, Opéra, Columbia, Parlophone, Odéon, etc... il fit même un petit disque publicitaire Pantophone qui était distribué dans la revue de "Paris qui chante".
N'oublions pas également que notre ami, Jacques PRIMACK avait consacré un cd (et cassette) dans son excellente marque CHANSOPHONE et dont le livret figure aujourd'hui comme une référence.
Dranem avait prêté son concours pour réaliser douze "phonoscènes" réalisés par Alice Guy en 1905. A l'époque, le film sonore n'existait pas. L'idée était de filmer des artistes, et lors de la projection, de synchroniser l'image avec un disque ou un cylindre du même artiste.
Durant le parlant, il a été à l'affiche dans les films suivants (je ne cite que les plus connus) : Il est charmant (1932), Un soir de réveillon (1933), les opérettes filmées Ciboulette (1933) et La Mascotte (1935).
Au passage, remercions René Chateau qui a publié les copies de ces films restaurés et qui nous a permis de nous rendre compte de l'artiste qu'était Dranem.
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Bien que l'ouvrage de Gilbert Humbert soit toujours disponible, on doit reconnaître qu'il n'est plus d'actualité aujourd'hui grâce aux découvertes et aux recherches récentes que nous faisons (moi et quelques amis) en permanence. Il est question de faire une relecture dans ma revue Phonographies en 2014, mais je souhaite publier un numéro spécial sur ce grand comique.
En attendant, je vous invite à découvrir ou redécouvrir le comique de Dranem en l'écoutant ci-dessous.
Samuel MARC
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