Christine BALLY est née à Paris dans une famille nombreuse le 30 décembre 1908. A trois ans elle chantait déjà "L'amour est enfant de bohème" de Carmen de Bizet, ce qui amusait toute la famille.
Montrant des dispositions au chant, elle prit des cours avec la grande cantatrice wagnérienne Félia Litvinne (1860 - 1936) qui lui cassa la voix.
Puis, Christine changea de professeur et se découvrit une magnifique voix de mezzo, capable d'aborder les rôles de soprano grâce à une technique vocale extrêmement bien maîtrisée.
Christine possédait une voix dite naturelle exceptionnelle ; un timbre rond et chaud, un magnifique légato.
Elle épousera le chef d'orchestre Gustave Cloëz (Roubaix 1890 - Paris 1970), qui occupa une très grande place à la radio et aux disques, où il enregistrera plus de 3000 disques 78 tours de 1926 à 1960. Il dirigea l'orchestre de l'Opéra-Comique pendant plus de 20 ans et l'orchestre des ballets de l'Opéra Garnier.
De cet union naîtra une petite fille et un fils, Hervé qui travailla sur les bateaux de la transat du Havre.
Elle chante alors sous le nom de Liany ou Liany-Cloëz (son imprésario lui ayant donné ce nom que Christine trouvait mauvais). Elle fut handicapée dans sa carrière par un époux qui ne voulait pas être considéré comme son protecteur et ne voulait pas la faire chanter sous sa direction. Ils enregistrèrent cependant des concerts pour l'ORTF notamment en 1962 où Christine Cloëz interprète des airs de Glück dans Paris & Hélène et Orphée dont je possède des extraits dans mes archives.
Elle débute sa carrière en 1936 à l'Opéra de Monte-Carlo sous la direction de Raoult Gunsbourg (directeur de 1893 à 1951). Celui-ci était très connu pour ses loufoqueries ; Christine Cloëz dût chanter le rôle de Siébel de Faust transposé d'une quinte pour qu'elle puisse monter ses jambes dans une mise en scène un peu spéciale !! Gunsbourg la forçat à chanter L'Amour dans Orphée qui est pourtant un rôle pour soprano.
La même année, elle est engagée à l'Opéra-Comique où elle ne restera que 4 ans. Elle quitte l'établissement sans son mari, pour chanter en province.
Durant la guerre, notamment en 1944, elle participe aux "Journées de la Musique" du C.N.P.M. ("Comité National de Propagande pour la Musique", sous le haut patronage du Maréchal Pétain) qui organise des concerts à travers la France. Il n'y a rien d'obscur dans ses participations, on y retrouve dans les programmes, la plupart des artistes en vogue à cette époque. On relève un passage à Lyon le 19 mars 1944, en compagnie de Elsa Ruhlmann et Joseph Peyron pour chanter La Passion selon Saint-Jean , oeuvre dirigée par Jean Witkowski qui sera retransmise par la radio. Cet ouvrage faisait merveille dans sa voix, elle le jouera 103 fois au cours de sa vie !
Après la guerre, elle retourne à Monte-Carlo où elle chante Mignon, La Dame de Pique et donne un grand nombre de récitals puis part à l'Opéra de Nice où elle joue de très beaux rôles.
Avec Renée Mazella (dans le rôle-titre) et Paulette Larnata, Chritine Cloëz participe notamment à la création, le 27 mars 1948, d'un opéra rare dont le livret était l'oeuvre de Maurice Maeterlink et la musique d'Albert Wolff, Soeur Béatrice. Oeuvre dirigée ce jour là sous la direction du compositeur.
Dans cette quiétude, un grand malheur arriva alors que Christine était en tournée. Leur petite fille de 3 ans, gardée par une gouvernante dans leur château des bords de la Loire, tomba des remparts et se tua. Christine ne s'en remettra jamais.
Christine Cloëz est très attirée par les concerts et les récitals de mélodies. Néanmoins, à Coppenhague elle va chanter le Roi David de Arthur Honneger et à Naples Barbe-bleue, puis en province, Charlotte de Werther, Pénéloppe, Hélène, Eurydice, Hérodiade, etc.
Elle donne aussi des récitals de mélodies parfois rares, comme ce fut le cas notamment pour une soirée consacrée entièrement à Tchaïkovsky.
Elle fut aussi l'interprète de "la vieille" dans Saint-Julien l'Hospitalier de Camille Erlanger, rôle qu'elle enregistre pour la radio-diffusion française sous la direction de Tony Aubin (1954).
Bizarrement, alors que son mari enregistre toujours de nombreux disques, elle n'enregistrera que quelques faces 78 tours consacrées à des mélodies de Fauré mais malheureusement les matrices furent détruites pendant l'occupation. Heureusement elle m'avait confié quelques trop rares enregistrements réalisés pour le travail sur disques Pyral et des extraits sur bande de concerts réalisés pour la radio dans les années 60.
En 1960, pour plusieurs raisons et notamment pour un trac maladif et de plus en plus fort, elle se retira de la scène et se passionna pour les techniques du chant. Elle devint alors professeur privé.
Gustave Cloëz devait décéder en 1970.
Un autre malheur arriva : après une opération chirurgicale pourtant bénigne, une corde vocale fut sectionnée et elle perdit cette voix si merveilleuse. Elle ne pouvait plus parler que par chuchotements. Grâce à sa méthode de chant et sa volonté, elle retrouva une voix mais ne pu jamais rechanter. Malgré tout, les élèves étaient toujours au rendez-vous.
Atteinte de cécité dans les années 90, elle se retira auprès de son fils à la Roseraie, maison de retraite de Sainte-Adresse, près du Havre.
Vers la mi-mars 2007, n'ayant plus goût à la vie, elle se laissera mourir. Elle s'endormie dans un coma et fut transportée à l'hôpital Jacques Monod avant de décéder quelques jours plus tard dans la nuit du lundi 26 au mardi 27 mars 2007 à l'âge de 99 ans. Elle fut inhumée au funérarium du Havre dans l'oubli le plus complet ; nous étions 6 ou 7 à la cérémonie. Christine Cloëz partie rejoindre les cieux dans la sérénité sous la musique de La Passion selon SaintJean.
J'eus la chance d'être son dernier élève. C'était une petite grand-mère comme on les aime, elle m'a transmit l'art du chant et son Amour. Elle avait un courage devant l'adversité, un humour et une tendresse incroyables que jamais je n'oublierai.
Merci Mme Cloëz de m'avoir tant donnée.
Samuel MARC.